Histoire: Eleanor Lance est une femme fragile, après avoir passé onze ans au chevet de sa mère malade, qui finit par mourir, elle vit désormais chez sa soeur qui l'héberge, et qui ne manque pas une occasion de lui rappeler combien sa présence est encombrante. Eleanor n'a rien, aucune considération, pas d'amis, pas d'homme dans sa vie, pas de posséssions, elle n'existerait pas que ça ne changerait pas grand chose tant elle se sent inutile. Elle est de plus sexuellement frustrée et se croit responsable de la mort de sa mère. (bref, il lui reste plus qu'a se tirer une balle
)
Alors quand un jour un éminent homme de science (séduisant de surcroit), le Dr Markway, lui demande de venir participer à une expérience extra-sensorielle dans une maison dites hantée en compagnie de trois autres personnes, elle se sent revivre, enfin, elle est attendue quelque part, c'est l'occasion ou jamais d'être enfin utile, d'acquérir une nouvelle vie, une nouvelle estime de soi. Elle fuit donc vers l'inconnu, toute exaltée par ce qu'elle croit être la promesse d'une vie meilleure. Mais Eleanor semble trop attendre de cet évenement, et sera vite rattrapé par ses démons intérieurs, de la frustration, au sentiment de culpabilité qui la rongent. Un indéfectible et étrange lien va se nouer entre Eleanor et cette maison, elle aussi hantée par des souvenirs douloureux (une vieille femme morte à cause de la négligence de son aide domestique : écho de la mort de la mère d'Eleanor)
Bon, j'ai décidé de commencer par parler d'un de mes 10 films préféré: La maison du diable de Robert Wise, à mon avis tout simplement le meilleur film de maison hantée (oui, même devant Shining, qui lui emprunte pas mal de choses, j'y reviens) et un des chef-d'oeuvres du fantastique, aussi magistral sur la forme que sur le fond.
Car La maison du diable n'est pas qu'un film d'horreur classique avec une histoire prétexte aux manifestations surnaturelles en tous genre, au spectaculaire, et ou la peur serait rendu par des éléments visuels tapageurs ou outranciers. C'est d'abord et avant tout le portrait d'une femme qui s'apprête à basculer dans la folie. D'ailleurs les fantômes ici, on ne les voient jamais, ce n'est en fait pas des fantômes, plutôt une maison vivante. Tout est donc dans la suggestion, et la création d'un sentiment de terreur et de malaise toujours grandissant au fil de l'oeuvre, rendu par une multitude de procédés sonores : grincements, craquements, cris ou sanglots d'enfants, son ténu et grave d'une voix qui murmure, frôlements le long des portes, petits attouchements inquisiteurs ou battements tonitruants qui ébranlent les fondations la nuit (ce catalogue de la suggestion auditive atteint une sorte de délire paroxystique)... et visuels : déformations de portes, zones de froid intense (que le spectateur finit même par ressentir), foisonnement d'éléments à l'image, mouvements brusques de caméra, décadrages, utilisation d'une lentille spéciale qui déforme les décors, zooms, plongées et contre-plongées vertigineuses, jeux avec les miroirs, la lumière etc... bref, tous les artifices du son et de l'image y passent pour faire ressentir au spectateur la peur glaçante de l'inconnu.
La mise en scène de Wise, hallucinante de virtuosité et de modernité, qui participe à la froideur et au malaise de l'ensemble, avec son noir et blanc très travaillé, apporte une perspective surnaturelle réaliste, palpable mais naissant justement de l'impalpable, et un malaise rarement atteint avec une telle efficacité.
Sur le fond, on peut le rapprocher d'un film auquel il s'est surement un peu inspiré: Psychose, réalisé 3 ans avant, dont le personnage de Marion Crane, comme Eleanor, fuit une vie détestée et part vers l'inconnu avec détermination, mais un inconnu qui représente aussi un danger. C'est une fuite inéluctable, il y a dans les deux films ce sentiment de fatalité, que le parcours est écrit d'avance, qu'une force inconnue les conduit droit à cette fin, et pas une autre.
Mais à part ça et la maison imposante et angoissante, la comparaison s'arrête là.
Dans la forme, je reviens à Kubrick, et je vois parfaitement en quoi le film a pu l'inspirer pour Shining. C'est un film froid, sérieux, à la mise en scène précise et clinique, au ton pessimiste et sans conscession, fataliste, aucun sentimentalisme. Un film qui ressemble beaucoup au cinéma de Kubrick aussi bien dans la forme que dans ses thèmes. Et les ressemblances sont trop flagrantes pour que ce ne soit qu'une coincidence. (d'autant que Stephen King a lui même été influencé par le roman sur lequel le film de Wise est basé)
Visuellement, on peut y voir aussi un coté Wellesien, dans l'expérimentation, dans la science du cadrage, dans les perspectives et les angles de vues extrêmes, dans l'utilisation du clair/obscur. Dans le style gothique et impressionant de la maison, qui peut rappeler la même aura surnaturelle que certains décors de Citizen kane. (Wise a d'ailleurs été chef-monteur sur Citizen Kane et la splendeur des Amberson)
Mais le film n'est pas qu'une remarquable démonstration technique, qui serait vaine si elle ne servait pas un scénario d'une grande finesse, aux personnages tous passionants, du plus important: Eleanor, femme fragile au passé douloureux constamment dans l'introspection, qui semble n'attendre qu'un choc de plus pour perdre définitivement pied avec la réalité, au Dr Markway, séduisant homme de science passioné par les phénomènes paranormaux, en passant par Théodora, l'exact opposé d'Eleanor, indépendante et forte, aux prétendus pouvoirs de médium, et bien sur la maison (une vraie maison, pas un décor de studio, même dans ses intérieurs), véritable cinquième personnage du film, dont l'âme et la présence imposante et macabre pèsent sur toute l'oeuvre, de la première à la dernière minute.
Avant d'être comme "absorbé" par la maison, et à l'aune de son basculement vers la folie, Eleanor finira d'ailleurs par entretenir un dialogue avec elle, un dialogue intérieur qui nous est rendu par la voix-off, cette même voix-off qui nous convie dès le début à entrer dans la psychologie et l'esprit torturé de cette femme, par le biais de monologues.
Voilà, un grand film, aussi psychologique qu'angoissant, d'une incroyable intensité, qui réserves ces moments d'anthologie (entre autre la fameuse "main fantôme" reprise par Raimi sur Evil Dead 2), avec un scenario complexe et fouillé (ce qui est quand même très rare dans ce genre), une mise en scène virtuose et intelligente, au plus près de ses personnages, et une interprétation excellente.
Je vous le recommande chaudement
ps: pour un effet maximum, à voir en VO, dans le noir, seul dans une pièce sans chauffage l'hiver, et avec le son à fond