Juste avant de commencer à proprement parler avec le sujet de mon message, je voudrais juste signaler à l'administration/modération du site que les topics sur le film se sont multipliés et qu'un regroupement est à mon sens plus que nécessaire pour nous permettre de nous y retrouver au mieux. A priori il y a ce topic sur le film, un sur l'édition spéciale dans la section "Films en production, en tournage" (http://www.cinefeeling.net/films-en-production-en-tournage-f1/avatar-special-edition-t1163.htm) et un sur l'édition collector du DVD (http://www.cinefeeling.net/il-y-a-quelques-temps-dans-les-salles-dvd-f7/avatar-edition-collector-t1113.htm). Personnellement, je ne vois pas l'intérêt, après je peux aussi concevoir qu'on ne partage pas mon avis, je voulais simplement signaler la chose et voir ce qu'il convenait ou non de faire à ce sujet.
Pour le reste, voici une analyse très exhaustive de Rafik Djoumi sur le scénario d'Avatar (postée sur le site Arrêt sur Images), je n'ai pas tout lu, certains points de vus me paraissent un peu capilotractés, mais je trouve que le bonhomme soulève néanmoins des choses intéressantes.
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3314
A l’occasion de la sortie en salle d'une nouvelle version d'Avatar, comportant une dizaine de minutes supplémentaires, certains considèreront que tout a déjà été dit sur le film historique de James Cameron. Loin de là! Mise en échec par l’ampleur du succès, la critique s’est tenue à l’écart de la dimension archétypale, mythologique (et philosophique) de l’œuvre. C’est pourtant cette dimension qui semble la plus à même de résoudre l’énigme de ce succès, en nous invitant à comprendre par quel mystère un récit, très largement considéré comme «simpliste», a pu résonner avec une telle force et une telle évidence à travers le monde.Avant toute chose, il nous faut comprendre en quoi Avatar n’est pas un «gigantesque succès» mais une anomalie, quelque chose qui, théoriquement, ne devrait pas se produire dans le cadre de l’industrie filmique. Le graphique ci-dessous présente une série d’énormes succès publics et internationaux de ces 30 dernières années. Il apparaît clairement que quatre de ces films (La Guerre des étoiles, E.T., Titanic, Avatar) se détachent de la catégorie des «gigantesques succès» pour atteindre parfois le triple de leurs entrées. La raison en est que ces quatre films sont parvenus à attirer en salle des gens qui ne vont jamais au cinéma; et que ces spectateurs, totalement imprévus, sont retournés voir le film une deuxième fois! C’est à ce niveau que se situe l’anomalie.
Or tous les succès «anomaliques» de ce dernier siècle et demi (d’Autant en emporte le vent à Avatar) reposent, sans exception, sur des archétypes et des structures de récit bien connues des mythologues et de certains psychanalystes.
Les raisons de l’engouement pour ces œuvres ont beaucoup à voir avec la structure même de notre esprit, plus précisément la région de notre cerveau où reposent nos intuitions, nos rêves et nos fantasmes, et où la Raison (la Logique, le Langage) a rarement droit de cité. Comme nous allons le voir, c’est sur ce territoire qu’évolue le récit d’Avatar.
Jake Sully:Jake est le diminutif du prénom biblique Jacob, désignant dans les Ecritures celui qui «supplante » son frère aîné Ésaü, de la même façon que Jake Sully supplante son frère jumeau décédé. Le nom Sully renvoie à un terme de vieil anglais qui découle du français «souillé». L’arrivée de Jake sur Pandora est montée en parallèle avec la crémation de son frère jumeau. Tandis que le carton qui porte le corps de son frère entre dans le four crématoire, Jake émerge d’une sorte de cocon dans lequel il a hiberné et où il a «rêvé qu’il volait». Ce montage parallèle induit que ces frères jumeaux sont une seule et même personne. Celui qui a été passé au feu était un Jake savant, probablement admiré. Celui qui sort du cocon est un «simple» marine, auquel on vient proposer de «repartir à zéro, dans un nouveau monde».
Il s’agit là d’une première renaissance.
En tant que héros du film, Jake Sully est notre référent. Il incarne notre être conscient. Au tout début de l’œuvre, il ouvre son œil au moment où nous, spectateurs, nous ouvrons au récit. Cette naissance qui débute le film nous aide à remettre les compteurs à zéro, à oublier ce que nous savons déjà, et ainsi à mieux «naître» à la fiction. Notre référent Jake, un nouveau-né, va se construire sous nos yeux et avec notre entière participation.
En cadrant Jake à la taille ou en nous le présentant en apesanteur, Cameron va retarder la révélation du handicap de son héros. Ayant perdu l’usage de ses jambes (et très probablement de ses organes reproducteurs), Jake Sully nous apparaît d’emblée comme un «homme coupé en deux». Cette image forte, accentuée par l’effet de la mise en scène, est une puissante et ancienne allégorie des mouvements contradictoires de notre humanité, tiraillée entre ses désirs terrestres et ses aspirations spirituelles. Dans le cas de Sully, notre sentiment immédiat nous porte à voir dans son handicap un être incomplet. Malgré son premier passage par le feu, il demeure «souillé», fragmenté, et donc inaccompli. L’aventure que nous nous apprêtons à vivre nous indique donc que ce nouveau-né va être amené à s’accomplir. Et ceci, comme nous le verrons, nécessitera plusieurs morts et plusieurs renaissances, en un long processus de distillation et de purification. La dynamique de ce récit est celle d’une opération alchimique.
Il est à noter qu’une scène tournée, mais non incluse au métrage, montrait Jake Sully ivre mort sur les pavés d’une ville terrestre, sous la pluie, dans une position qu’on qualifiera de «christique» mais qui dérive en fait du mythe de Prométhée (dans la première version du script, le vaisseau qui menait Jake vers Pandora s’appelait Le Prometheus). Ces idées non retenues dans le film définitif nous indiquent le désir de son auteur à «marier» ces deux figures complémentaires de la mythologie grecque que sont Prométhée et Pandore, et ainsi jouer des archétypes qu’elles illustrent.
Norm:Comme son nom l’indique, Norm (contraction de Norman), représente notre désir de normalité, notre effort pour nous intégrer en respectant les règles et en demeurant raisonnable. Elève studieux, il est celui qui tentera de donner à Jake quelques bases de la philosophie Na'vi, tout en développant une certaine jalousie à l’égard du caractère aventureux, insolent et ignorant du héros.
Parker Selfridge:Son nom renvoie à Parker pour «celui qui parque» les choses, qui construit des barrières; et Selfridge pour l’évocation sonore de «Selfish», égoïste, égocentrique. L’acteur Giovanni Ribisi interprète son personnage en adoptant l’attitude et la voix d’un enfant blasé et gâté. Parker Selfridge incarne notre Ego, celui qui s’arroge tous les droits, qui s’estime le seul et unique propriétaire de notre Esprit, et qui s’autorise à le fouiller, le dépecer, en vue de posséder ce qui ne peut être obtenu (l’unobtainium), à savoir l’énergie même sur laquelle il repose. Son incapacité à dire autre chose que «Moi» en fait un véritable danger pour l’écosystème de notre être.
Trudy:Elle est la contraction de Gertrud, la guerrière amazone des mythologies nordiques, dont le nom signifie «celle qui est forte avec la lance». Incarnation d’une idée de Justice non déterminée par les pouvoirs en place, elle assiste le héros lorsque son combat semble perdu d’avance.
Colonel Miles Quaritch:«Milés» est le nom latin du Soldat. Et le «Colonel Quaritch» est un personnage créé par l’écrivain Henry Rider Haggard, fervent serviteur de l’impérialisme britannique au XIXème siècle. Surnommé «Papa Dragon», Miles Quaritch est le Père archétypal. Droit, déterminé, il est la force masculine, celle qui transperce. Sa rigidité patriarcale et son raisonnement sans faille (il est le seul personnage à deviner très exactement ce qui se trame au niveau de Jake) en font le maître incontesté du cerveau gauche, celui qui est capable de distinguer, séparer, et soumettre les énergies contraires par la violence de sa détermination - ou comme le fait remarquer Jake Sully en début de métrage: «rien de tel qu’un discours sécuritaire pour apaiser les esprits».
En associant Quaritch et Selfridge, Cameron suggère l’idée que c’est cette prise de pouvoir par le cerveau gauche (masculin) qui a permis la conquête du monde, aidée par le désir à jamais inassouvi de l’Ego – alliance de la force armée et de la société marchande qui a posé sa marque sur le monde et, surtout, sur notre monde intérieur. Nous pressentons que le destin de Jake Sully (un marine, un soldat soumis à Quaritch) va le mener à la rencontre d’Eywa, qui est l’autre facette de notre Esprit (intuitif, inconscient, rêveur, créatif). Dès lors, il semble attendu, évident, que notre faux ami et notre véritable ennemi dans cette quête sera le Colonel Quaritch.
Le réalisateur va nous aider à comprendre la nature de cette mauvaise alliance en mettant en présence les deux hommes «coupés en deux». Sully est dans sa chaise roulante parce qu’il est encore incomplet. Quaritch se glisse dans une combinaison prothétique parce qu’il en a fait le choix. Et lorsque, d’un geste menaçant, Quaritch promet d’aider le héros à retrouver ses "vraies jambes", c’est avec son bras prothétique qu’il le fait. Il y a, dans cette promesse, la garantie pour le héros de rester à jamais inaccompli.
Grace Augustine:Décrite par ses assistants comme une «légende vivante» ayant écrit la «Bible» de la culture Na’vi, Grace Augustine apparaît dans le récit en réclamant avec insistance une cigarette, accessoire chamanique et enfumé indispensable à tout Sorcier/Mage/Oracle qui se respecte (revoyez L’Empire contre-attaque, Matrix et Le Seigneur des anneaux pour d’autres exemples). Grace est celle qui indique au héros le chemin de son aventure et, dans le cas présent, celle qui lui donnera l’impulsion de sa seconde naissance. Elle est une des trois Grâces de la mythologie romaine, pourvoyeuse de fécondité et de créativité. Elle est également le chemin vers la Grâce telle que formulée par Saint Augustin, d’où elle tient son nom de famille.
Mais bien que Grace soit une porte d’entrée vers ce cerveau droit dans lequel nous nous apprêtons à plonger, elle n’incarne pas le Féminin que nous allons y trouver. Grace Augustine est une scientifique, un esprit rationnel qui ausculte, observe et trie. Son regard est inquisiteur et entièrement porté sur le détail, sur la lunette de son microscope, sur les minuscules racines du réseau de Pandora. Comme le disent les Na’vi, «sa coupe est pleine», remplie de Savoir (voir). Il est probable qu’elle n’a jamais eu les gestes infantiles qu’aura Jake lorsqu’il découvrira la jungle de Pandora. L’échec de Grace à garantir la cohabitation avec les habitants de cette planète découle entièrement de son incapacité à «voir» avec de nouveaux yeux.
Chaque personnage du film est un aspect de l’esprit de Jake, et donc un aspect de l’esprit du spectateur. Car c’est bien notre esprit qui donne vie à ces caractères en s’incarnant en eux; en s’incarnant consciemment dans le personnage de Jake et inconsciemment dans tous les autres. Le script nous aide à maintenir en vie ces personnages secondaires par l’effet de prophéties qui annoncent à notre inconscient leurs destins respectifs, leur finalité. Grace dit «je mourrais pour avoir des échantillons de cet arbre» et elle mourra au pied de cet arbre en réclamant des échantillons. Trudy fait remarquer qu’elle «aurait aimé éviter le martyr» et finira bel et bien en martyr. Dès sa présentation, Quaritch évoque «les flêches empoisonnées des Na’vi » et affirmera plus tard que «rien n’est terminé tant que je respire». Il périra à la fois par manque d’air et transpercé par les flèches Na’vi.
La seconde naissance:Cette séquence cruciale est celle que le spectateur a payé pour voir, celle du grand saut dans l’inconnu cinématographique que promettait le film. Elle n’intervient qu’une fois que la mise en scène s’est chargée de faire monter la pression chez le spectateur, dont l’identification au héros est maintenant accomplie. Grace (nous) demande, une nouvelle fois, de faire le vide dans notre esprit. Et dès lors, c’est une caméra subjective qui va accompagne nos premiers gestes de nourrisson. Nous commençons par voir nos deux parents se pencher vers notre berceau, faire du bruit à nos oreilles. Puis nous découvrons ces deux mains lointaines que nous n’associons pas encore à notre corps. Enfin, une impulsion incontrôlable nous ordonne de nous lever, ce que nous faisons en titubant, en créant un mini-chaos autour de nous, en prenant appui sur les objets pour accompagner notre marche hésitante.
L’excitation provoquée par cette séquence est celle du lointain souvenir de l’excitation primordiale d’être en vie, d’avoir un corps en mouvement, d'en découvrir le potentiel et les limites, de chercher à atteindre et à expérimenter tout ce qui nous entoure et jouer avec des enfants plus grands que nous dans le square. A cette occasion, James Cameron s’offre une discrète correspondance avec la scène d’arrivée de Jake sur Pandora. Autrefois éclopé, il manquait d’être bousculé par un exosquelette. Réincarné dans son Avatar, c’est maintenant lui qui manque de bousculer l’exosquelette. Cette correspondance est soulignée par l’inversion du positionnement des protagonistes dans le cadre. Elle amplifie le sentiment de renaissance.
Grace, qui nous a fait don de cette nouvelle énergie, est là pour nous couver d’un sourire bienveillant, pour nous offrir un fruit, pour venir nous border au coucher en nous demandant à ne pas trop tirer sur cette queue «car ça rend sourd».
La caverne:C’est par le biais des pulsions, des intuitions et des rêves que notre corps communique avec notre conscience. Ayant renoué le contact spirituel avec ce corps, Jake peut donc enfin découvrir (et nous avec lui) ce territoire fantastique que le corps génère.
La jungle de Pandora recèle tout à la fois des merveilles et de terribles dangers. Le nouvel enfant qu’est Jake touche à tout, se laisse surprendre, et découvre ébahi la qualité purement onirique d’une forêt phosphorescente (il sera plus tard désigné comme un «dreamwalker», celui qui marche en rêve). Mais c’est également sur ce territoire où tout semble possible que rôde la peur primale de la Mort (Thanatos), incarnée par un gigantesque fauve en cuirasse noire, le Thanator. Pour mériter l’accès à ce territoire, le héros doit passer par la «caverne» de tous les récits mythologiques, un monde humide, nocturne, aux formes mouvantes (où son identité va se recomposer sans même qu’il le réalise). C’est au terme d’un combat contre des frayeurs nocturnes qu’il verra apparaître pour la première fois Neytiri, l’autre facette (oubliée) de son être.
Neytiri est «le côté» de Jake, de la même façon qu’Eve est le côté (et non la côte!) d’Adam. Leur destin est de s’unir pour que l’Esprit puisse renaître à lui-même. D’emblée, elle annonce à Jake qu’il est «comme un bébé», ce qui est une forme déguisée d’encouragement dans ce nouveau monde féminin où il est invité à grandir, à se développer. Jake a mérité son passage parce qu’il a, comme le dit Neytiri, «un cœur fort; aucune peur». Et il le prouve aussitôt en formulant une requête essentielle, requête qu’aucun humain n’a jamais du formuler sur Pandora :
Il demande à Neytiri de lui apprendre à «voir».
Initiation:Jake n’aurait jamais pu atteindre Neytiri s’il n’avait pas formulé cette requête. En posant la bonne question, il vient de s’ouvrir à la source de ce monde qu’est Eywa. Et c’est pourquoi la source, via des esprits/lucioles, va le désigner en tant qu’Elu. Elle a reconnu en Jake l’incarnation de la conscience qui doit s’ouvrir à elle.
Dès lors, l’arrivée de Jake chez les Omaticaya sera mise en scène à la façon d’un début de rituel initiatique: humiliation par la présence de trois gardiens qui l’escortent en lui tenant sa natte (équivalent des yeux bandés), questionnaire inquisiteur de la Tsahik, qui est à ce nouveau monde ce que le Colonel Quaritch est à l’ancien, à savoir son émissaire déterminé (Jake la surnommera plus tard «Dragon Lady »).
Face à la Tsahik, Jake saura faire preuve d’une réelle humilité en se présentant comme une «coupe vide», ce qui l’autorisera à renaître partiellement à l’intérieur du clan Omaticaya. Il devra pour cela passer par un nouveau cocon, en forme de chrysalide.
Pulsion sexuelle:Le premier lien (tsaheylu) que devra redécouvrir Jake est celui de l’énergie sexuelle, à la base de toute pulsion de vie. Son symbole immémorial est le cheval, incarné ici par la femelle Palé. Génératrice de vie, cette énergie sexuelle fait surgir l’être de la matière fertilisée, matière que la Mythologie désigne au choix par de la boue ou du limon (le «khem» égyptien qui donnera le mot arabe «al-khemia»).
Cette énergie sexuelle du corps trouve son aboutissement spirituel dans l’image du dragon ailé Ikran. Il représente l’extase mystique, l’orgasme de l’esprit, la finalité de l’initiation de Jake. C'est cette transe, cette extase sexuelle et mystique qui lui permettra plus tard de voler (les rêves d'envol sont générés par l’excitation sexuelle). Mais comme le précise Neytiri, à la différence de l’énergie sexuelle d'en bas représentée par Palé, le lien qui est établi dans les hauteurs avec Ikran demeure «pour toute la vie». Ce type d'extase modifie l'individu en profondeur.
A travers cette initiation, le rôle de Neytiri est d’aider Jake à faire remonter ces énergies du bas du corps afin qu’elles aiguisent l’acuité du regard qui donnera le geste accompli du chasseur. Jake nous explique en voix-off qu’il «doit apprendre à faire confiance au corps, car il sait quoi faire». Celui qui, au début du récit, nous avait été présenté «coupé en deux» est en train de se reconstruire spirituellement. Il est enfin en mesure de «tuer proprement» un animal, en le reconnaissant comme frère, comme une manifestation de l’énergie qu’il partage avec lui. La chair se nourrit de la chair; la Vie se nourrit de la Vie. La mise à mort réussie par le chasseur "Jakesully" nous renvoie aux toutes premières cosmogonies de la préhistoire, à la source spirituelle d’une société alors matriarcale (l’époque où l’on sculptait des Venus) et où nous avons appris à devenir des êtres humains en accordant ainsi notre conscience au monde physique.
Neytiri peut enfin annoncer à Jake «Tu es prêt». L’initié est prêt à atteindre son extase mystique. Celle-ci ne pourra avoir lieu que tout là-haut, au sommet de montagnes très justement appelées les montagnes Hallelujah.
Le père contre-attaque:Le passage de Jake dans un nouvel hémisphère crée un nouveau déséquilibre dans son (notre) esprit. Et le film va insister sur cette perte de repère. «Tout s’est inversé» dit le héros; «je me souviens à peine de mon ancienne vie». Alors que le spectateur souhaite s’abandonner aux couleurs vives du monde féminin, la mise en scène le frustre en l’obligeant à revenir vers les teintes grises et métallisées du «réel» masculin de Jake. Le héros se demande si ce «réel» n’est pas devenu son rêve, interrogation inévitable pour celui qui a connu l’extase mystique.
Le Colonel Quaritch, qui n’est pas dupe du pouvoir d’attraction exercé par ce monde imaginaire et intuitif (qui se manifeste dans le Mythe et le Conte) ira jusqu’à lui demander s’il ne s’est pas «égaré dans les bois». L’opposition entre ces deux mondes devient si franche, à l’image et dans le récit, qu’elle mène inexorablement à la confrontation.
En pénétrant dans l’hémisphère droit, Jake amenait inévitablement avec lui l’hémisphère gauche. Et ce n’est qu’à l’instant où il se mariera avec son côté, où il s’unira à Neytiri, que ce conflit pourra débuter. De la même façon, dans Titanic, Cameron avait fait de la scène d’Amour le point d’équilibre de son film; l’instant qui déclenche l’apocalypse. Ce n’est après avoir fait l’amour que Jack et Rose voyaient venir l’iceberg qui détruira le bateau qui leur servait de monde. Ce n’est qu’après avoir fait l’amour que Jake et Neytiri verront l’apparition du principe masculin venu pour déchirer, transpercer, le monde de Pandora.
Le choc émotionnel, vécu par les Na'vi, sera d'autant plus vif pour le spectateur qui s'est abandonné aux zones inexplorées et enchanteresses de son hemisphère droit.
L'arbre du monde:Le grand crime du principe Masculin est la destruction de l’Arbre-monde, celui qui fut gardé pendant des millénaires par le Féminin sacré. A l’occasion de cette séquence, Cameron joue sur une opposition à l’image entre le visage satisfait du "Papa Dragon" Quaritch et la désolation de son côté féminin qu’est la "Dragon Lady" Tsahik.
Beaucoup ont voulu voir dans cette séquence une analogie aux attentats du 11 septembre 2001. Mais le récit d’Avatar (dont la première ébauche scénaristique date de 1995) nous invite à contempler un traumatisme bien plus ancien, tellement enfoui dans notre conscience qu’il est devenu un fait «oublié». Ce qui se joue ici n’est rien moins que le souvenir du renversement de la société matriarcale par un principe masculin déterminé à abattre méthodiquement ses symboles. Un évènement historique dont les marques sur notre esprit, et sur la structure de notre civilisation, sont bien plus profondes que nous ne sommes prêts à l’admettre. A cette occasion, Cameron enchaîne quatre plans de réaction horrifiée, chez les Na’vi comme chez les humains, où notre regard est dirigé sur les visages des femmes réagissant à l'abomination.
Au point de vue thématique, Jake est le vrai responsable de ce désastre. Il porte en lui ces forces qui sont venus détruire le monde qu’il cherchait à intégrer. L’incompatibilité de ces deux principes antagonistes nous force à un réveil brutal, ou comme le dit la voix-off, reprenant la phrase d’ouverture du film «Tôt ou tard, il faut se réveiller».
A la suite de cette inqualifiable agression, le monde de Pandora n’a plus d’autre choix que de s’exiler encore plus profondément dans les replis de l’inconscient (appuyé par un hommage visuel aux indiens exilés chez John Ford), tandis que la conscience, sa grâce et sa normalité, se retrouvent enfermées dans une petite case du cerveau.
L’Ego semble avoir gagné la partie.
La dernière ombre:Jake, ayant atteint les limites de son initiation, renaît une nouvelle fois, recouvert des cendres de l’arbre mort. Ces cendres nous renvoient à la crémation de l’ouverture du film. Après avoir brûlé l’être fait de certitudes (son frère jumeau), après avoir brûlé le «bébé» qui marchait dans un rêve (son avatar), il lui faut maintenant franchir le dernier seuil, le plus périlleux de tous, celui qui le mènera à la Connaissance (naissance) de son être. Les plus anciennes religions à Mystères nous annoncent qu’il est des portes si petites qu’on ne peut les franchir qu’à genoux. Broyé dans son orgueil, sans plus d’espoir, étranger à tous, Jake Sully erre dans un paysage de fin du monde et murmure «j’étais dans un lieu que l’œil ne peut pas voir». Il est en train de mourir à lui-même.
Ce que l’œil ne peut pas voir, c’est cet éternel antagoniste qui se tapit au fond de notre esprit et que le psychanalyste Carl Jung appelait L’Ombre; cette partie de nous-mêmes que nous projetons inconsciemment sur le monde et qui donne corps à nos peurs, nos phobies, nos haines, générant le conflit au sein même de notre psychisme. S’il veut enfin s’accomplir, réunir ses énergies et se «purifier», Jake n’a pas d’autre choix que de dompter cette Ombre.
Généralement présentée dans les récits mythologiques sous la forme d’un monstre, l'Ombre est ici incarnée par le grand dragon Toruk, que Cameron choisit de surnommer tout simplement «la Dernière Ombre». Si Neytiri pouvait accompagner Jake dans son ascension vers l’extase mystique; cette fois-ci, Jake doit plonger tout seul vers sa dernière Ombre. Le cinéaste choisira de ne pas montrer le combat entre Jake et Toruk, marquant d’un violent écran noir ce processus «que l’œil ne peut pas voir» (il appartiendra à chaque spectateur de s'engager sur ce chemin tout seul)
Jake a franchi le dernier seuil. Il n’est plus un homme «coupé en deux» mais un être capable de concilier ses désirs terrestres (le corps) et ses aspirations (l’esprit) en regroupant les énergies dont il connaît maintenant la nature et la valeur. Ce processus donne lieu à une séquence où Jake regroupe les différentes tribus de Pandora sur les accords d’une musique triomphale.
Résolution:Devenu lui-même le principe masculin au cœur de ce monde féminin, Jake doit enfin entreprendre ce qu’ont fait avant lui les héros de la Mythologie tels qu’Œdipe ou Prométhée: tuer le Père.
Si l’esprit du spectateur est parvenu à franchir les mêmes portes que Jake durant ce récit, alors il est théoriquement prêt à accepter jusqu’à l’improbable (le non-rationnel, le non-logique) en voyant les énergies animales de Pandora prendre part au grand combat final, ou à se laisser subjuguer par l’image de Neytiri chevauchant le Thanator (le Féminin chevauchant la Mort). Tout le réseau de symboles et d’archétypes, patiemment construit durant le récit, trouve sa résolution dans le combat de Jake/Neytiri (qui ne forment plus qu’Un) terrassant le Colonel Quaritch.
A l’issue de ce climax de l’action, Cameron peut enfin nous mener au pic émotionnel de son film. En recréant une piéta, dans laquelle Neytiri enserre le corps fragile de Jake, il nous autorise à goûter cet instant sacré où le Féminin peut enfin accueillir en son sein ce principe Masculin si longtemps exilé, et à le "voir" enfin. "I See You". Jake peut maintenant enregistrer son dernier videojournal en tâchant de ne pas être «trop en retard à sa propre fête» et faire ses adieux à l’être écartelé qui souffrait d'être coupé en deux. A l’issue d’une dernière cérémonie, son côté Masculin intègre dans l’harmonie son côté Féminin. Le récit s’ouvrait sur un seul œil; il se conclut sur une paire d’yeux. Entre ces deux points, ces deux images, nous avons appris à «voir» à l’intérieur de nous pour mieux voir vers l’extérieur. Cet accomplissement spirituel fait de notre référent Jake l’incarnation d’un Dieu sur Terre, c’est-à-dire la définition même d’un Avatar.
Voici en résumé de quoi est faite la structure du scénario «simpliste» d’Avatar, et la raison probable qui a permis à ce récit de toucher hommes, femmes, enfants de tous âges, de tous pays, de toutes cultures et de toutes classes. Effrayés par le succès, certains se sont désolés qu’un tel récit «rempli de clichés» suffise à rameuter les foules. Cette confusion, hélas fréquente, entre «clichés» et «archétypes» a contribué à masquer l’une des ambitions les plus honorables du film de James Cameron. Avatar est avant tout une tentative de ré-enchantement du regard sur le monde, qui nous permet de renouer avec notre profonde humanité. Il s’agit là de la fonction première et immémoriale du Récit.
En ce sens, le succès d’Avatar est une très bonne nouvelle.